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Société civile au Sénégal : pourquoi refuser le débat ? (Par Elimane Pouye)

Rédigé par leral.net le Dimanche 13 Juillet 2025 à 20:54 | | 0 commentaire(s)|

Société civile au Sénégal : pourquoi refuser le débat ? (Par Elimane Pouye)

Devant les responsables de son parti à l’occasion de l’installation du Conseil national de ce dernier, M. Ousmane SONKO, président de la formation politique « PASTEF », a consacré une brève partie de sa sortie à la « société civile ». En trois mots, il a d’abord, qualifié (un lapsus peut être !) une partie des membres de la « société civile » de «fumiers» ; ensuite, il a ouvert une réflexion sur la place que revendiquent les acteurs de la société civile dans la gouvernance des affaires publiques et enfin, il a interrogé le système de financement des activités de la société civile avant d’exprimer son intention d’une régulation normative. 

 

Il est possible de regretter l’usage du terme «fumiers» qui dans son sens figuré renvoie à une « personne méprisable » ; encore que le sieur SONKO a pris le soin de ne pas généraliser son propos qui survient au lendemain de la prise de position, manifestement partisane, de certains acteurs de la société civile dans une affaire d’insultes graves à son endroit. Celui qui prend le parti de défendre l’insulte ne peut, sans risque, éviter un retour de bâtons. Incident clos. Toutefois, le débat public auquel appelle M. Ousmane SONKO ne peut être éludé par cet incident de langage. 

 

Pour ceux qui le suivent depuis son entrée en politique, le leader de PASTEF a toujours défendu l’idée qu’aucun sujet ou segment de la vie socio-politique ne doit échapper à la critique argumentée. Loin des consensus de façade, il s’est interrogé sur la magistrature, la presse, l’administration publique, les secteurs économiques, les acteurs politiques... Incontestablement, avec M. Ousmane SONKO rares sont les sujets tabou. L’auto-censure est une forme de conspiration qui peut conduire à une métastase mortelle.

 

Par conséquent, la tonalité de ses propos ne peut être le sujet mais plutôt le doigt qui montre seulement la lune. Aussi, la posture réactionnaire de M. Birahim SECK, coordonnateur national du Forum civil, n’est nullement à la hauteur des enjeux du débat qui doit se faire sans fuite en avant, ni faux fuyants. De même, la confusion opportunément entretenu par M. Elimane H. Kane entre la personne de M. Ousmane SONKO, leader politique s’exprimant devant les instances de son parti et le « Premier ministre » tenant « des propos injurieux, excessifs et offensants » ne correspondent pas à la réalité qu’on cherche à déformer à l’excès dans une optique de victimisation. Il ne doit pas s’agir d’un procès d’intentions qui extériorise une forme de rivalité ou de jalousie ou de frustration mal digérée devant le succès politique éclatant d’un « concurrent » inattendu. Débattons sans invectives ; cherchons à convaincre plutôt qu’à vaincre ; disons la vérité et ne soyons pas obnubilés à avoir raison. Il faut instruire sans cesse le procès de notre société, rappelait avec élégance le professeur Malick Ndiaye.  Dès lors, par la présente, je choisis de débattre des deux idées maitresses de la pensée de M. Ousmane SONKO : (1) la place de la société civile dans la gouvernance publique et (2) le système de financement de la société civile. 

 

Quelle place de la société civile dans la gouvernance publique ?

 

Le débat que pose le leader de PASTEF n’est pas nouveau. Faute d’avoir été vidé, le sujet refait surface épisodiquement. Sous l’ère Wade, au lendemain de la tenue des « assises nationales » sous la houlette de la « société civile » en lien avec les « partis politiques », le camp présidentiel d’alors avait dénoncé  la « politisation » de la société civile et traitait ses principaux acteurs de « politiciens encagoulés ». Par la suite, l’alliance organique entre acteurs de la société civile et hommes politiques dans un melting-pot autour du Mouvement « M23 » n’a pas participé à clarifier les lignes de démarcation davantage brouillées par une forme de « partage du pouvoir » entre « alliés » vainqueurs après l’élection de 2012. La relation idyllique entre le président SALL et les organisations de la société civile a débouché sur des critiques acerbes de part et d’autre. De la qualification « d’escrocs » portée à l’encontre de l’organisation de la société civile regroupant les cadres casamançais par le président lui-même, de l’affabulation du titre, peu glorieux, de « rentiers de la tension politique » à certaines figurent de proue de la société civile aux arrestations d’acteurs majeurs de la société civile (le cas de Aliou SANE, responsable du mouvement « Y´en marre »), la surenchère a atteint son paroxysme sans épuiser le débat. La participation de listes dites de la société civile aux élections municipales et législatives et la cooptation de certains dans des instances institutionnelles (OFNAC, CESE) n’ont pas aidé à bien identifier les champs d’intervention. Cela a pu conduire à une suspicion où on épie et guette les faux pas de « l’adversaire ».

 

A l’analyse, il semble que le débat que soulève M. Ousmane SONKO porte plutôt sur la place de la société civile dans notre système démocratique étant entendu que son apport aux avancées, dans bien des secteurs, est indéniable. Dans son incarnation et son encrage idéologique, notre société civile milite pour une démocratie de concordance, c’est à dire « un modèle politique où les décisions sont prises par consensus entre les différentes élites, plutôt que par une majorité simple. Elle vise à garantir la stabilité politique dans des sociétés profondément divisées, en intégrant les principaux groupes sociaux et politiques dans le processus décisionnel ».  Ainsi, en octobre 2024, lors de la cérémonie de lancement de la Vision 2050 et de la Stratégie nationale de développement 2025-2029, Elimane Haby Kane, fondateur-dirigeant de l’organisation de la société civile « Legs-Africa », invité comme panéliste, disait à propos du référentiel des politiques publiques que «dans l’élaboration de ce document, on devait impliquer les populations. Il faut une démarche inclusive pour que les gens puissent contribuer et pour que les populations puissent se reconnaître dans ce programme ». Dans le même ordre, en mai 2025, au lendemain de la mise en place par  le Gouvernement du Comité de pilotage de la réforme du Code général des impôts, le Forum civil à travers un communiqué a soutenu qu’’il «s’agit d’impliquer les autres acteurs dans le comité de pilotage conformément aux bonnes pratiques en la matière (commission, comité, cadre de concertation, groupe de travail, etc.)» et a invité «le gouvernement à rompre d’avec cette tradition jacobine et centralisatrice de l’Etat, qui s’est déjà manifestée lors de la mise en place du Comité chargé de l’examen des contrats stratégiques. La configuration du Comité de pilotage doit être inclusive et participative».

 

Je suis de ceux qui pensent, avec le leader de PASTEF, que la redevabilité doit s’accommoder de l’imputabilité. Ceux qui ont lutté et conquis le pouvoir doivent pouvoir l’exercer entièrement et en assumer la plénitude des responsabilités, pour in fine, en revendiquer les succès ou être comptables de ses échecs. Aucun modèle démocratique viable ne peut survivre dans une confusion des rôles. Comme le soutient le leader de PASTEF la co-gouvernance n’existe nulle part ailleurs dans les systèmes démocratiques majeures. Pour autant, cela ne doit priver la parole à aucun acteur ainsi que sa légitimité à soumettre les politiques publiques aux critiques argumentées. 

 

Le positionnement et la trajectoire de M. Ousmane SONKO révèlent une cohérence de sa posture. Après près d’une décennie de militantisme dans la « société civile » en tant qu’acteur syndical, il a enfilé la toge politique pour conquérir et exercer le pouvoir politique.  

 

Le ton volontairement clivant de M. Ousmane SONKO pour marquer une rupture fondamentale et le contenu provocateur et assumé de ses propos sur ce sujet ne peuvent être des prétextes pour occulter la quintessence du débat auquel il appelle qui doit par ailleurs adresser la question du financement des activités des organisations de la société civile.

 

Quel système de financement des activités de la société civile ?

 

Le leader de PASTEF a toujours clamé, sans jamais être pris à défaut, que son parti est l’une des rares formations politiques à déposer, à date échue, ses états financiers certifiés devant les autorités compétentes en y retraçant toutes les sources de son financement. Et pour cause. A la veille de l’élection présidentielle de 2019, un média privé de grande envergure l’a, publiquement et sans preuve, accusé de financement étranger pour espérer l’ajournement de sa candidature et la dissolution de son parti politique. Les mêmes accusations ont refait surface dans le contexte de l’élection de 2024 devant l’inventivité de PASTEF à lever des fonds pour financer sa campagne électorale. 

 

Dès lors, il est légitime pour M. Ousmane SONKO, militant de la transparence et de la redevabilité, de poser le débat sur le financement, principalement extérieur, des organisations de la société civile ; lui qui prône une souveraineté budgétaire. Sa volonté, en tant que chef de la majorité présidentielle, de proposer une législation pour interdire ou pour encadrer le financement étranger des organisations de la société civile, à l’instar de la réglementation déjà appliquées aux partis politiques doit être débattue. 

 

L’adage populaire nous apprend, depuis des millénaires, que « qui paie commande ». Dans un régime dont le marqueur principal du discours politique est la souveraineté, la question du financement des organisations de la société civile est essentielle en considération des enjeux stratégiques et de la perspective de souveraineté. Heureusement que E. H. KANE reconnait, à mots couverts, que « la provenance extérieure de l’essentiel du financement des ONG et certaines associations constitue objectivement une limite à la maîtrise de l’initiative politique, notamment  les risques d’alignement à des agendas exogènes ». Il est possible d’épouser la pensée de M. Ousmane SONKO et « de revoir la question de l’origine des financements des organisations de la société civile pour renforcer leur impact dans le prolongement du service public, à travers le développement de mécanismes de financement endogène par le contribuable sénégalais et la philanthropie nationale ». Un débat s’impose.

 

Les jugements d’intention sur le Projet politique de SONKO, les qualificatifs sur ses capacités à gouverner sont derrière nous. Son candidat à l’élection présidentielle de 2024 a remporté le scrutin haut la main au premier tour et sa liste a gagné les législatives à une très large majorité. La démocratie postule, avant tout, le respect des règles du jeu. Les sénégalais ont majoritairement crédibilisé son projet politique et ses capacités à gouverner. Ils en évalueront les résultats le moment venu. Entre deux  échéances électorales, il est possible de critiquer et de déconstruire de façon argumentée ; autrement, le débat devient crypto-personnel, superficiel et sans épaisseur.

 

Elimane POUYE,

Citoyen sénégalais





Source : https://www.impact.sn/Societe-civile-au-Senegal-po...